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            A cet endroit s'élève, au milieu du rivage, un rocher abrupt au sommet duquel le pacha Mohammed Kurdogli fit jeter, en 1556, les bases d'un fort pour mieux surveiller l'entrée de la baie d'Alger, mettre la ville à l'abri des coups de mains et faire obstacle, surtout, aux tentatives audacieuses comme celle essayée par le puissant empereur Charles-Quint quelques années auparavant.


            Ce fort, appelé Bordj-el-Kiffan, c'est-à-dire la forteresse des précipices, ne put être définitivement achevé qu'en 1584, hégire 989, par Djfar-Pacha.


            A l'intérieur même du bâtiment est creusé un puits qui donne une excellente eau potable. C'est pourquoi les Français, dès leur arrivée en Algérie, dénommèrent Bordj-el-Kiffan d'une façon plus heureuse et plus expressive : Fort-de-l'Eau.


            Dès 1833 déjà, le baron de Vialar, entreprenant et énergique, était venu s'établir dans les environs d'Alger. Associé avec M. de Tonnac, il exploita d'abord une propriété à Tixerain. Il acquit par la suite à Kouba, au lieu dit "le Ravin", une étendue de plus de 180 hectares, y installa des Mahonnais, alloua à chacun d'eux une métairie, quatre bœufs, deux mulets et huit ares de terrain. La partie irrigable servait aux cultures potagères, le reste aux céréales.


            Grâce aux soins diligents des Mahonnais, la propriété du baron de Vialar fut vite transformée. Le propriétaire apprécie beaucoup ses métayers et les tient en estime. Les ayant vus de près et à l'œuvre, il a de leurs aptitudes, de leurs mœurs, de leur activité une connaissance approfondie. Aussi, se propose-t-il d'améliorer leur condition.


            Ces Mahonnais ont fait souche, ils sont à l'étroit dans la propriété du baron de Vialar, il leur faut plus d'espace. Le propriétaire éclaire de sa sagacité et de ses conseils les plus intelligents d'entre eux qui s'entendent avec d'autres de leurs compatriotes éparpillés dans les environs d'Alger, parcourent de concert la plaine et le Sahel, afin de jeter leur dévolu sur un coin de terre et pouvoir s'y fixer. Leur choix s'arrête sur la limite de la zone des terrains militaires réservés au Fort-de-l'Eau, sur la route qui va de la Maison-Carrée à la ferme de la Rassauta.


            En janvier 1847, trois de ces Mahonnais, Fedelich Juan, Marquez Mathieu et Juan Barbé, adressent à la Direction de l'Intérieur une supplique où ils sollicitent de l'Administration une concession et l'autorisation de s'établir collectivement au lieu précité.


            Le comte de Guyot, directeur de l'Intérieur, partisan déterminé de la colonisation pratique, mais au courant des sacrifices sans limites faits par l'État et qui avaient abouti à de médiocres résultats, se montrait très perplexe. Dans un intérêt politique qu'on conçoit sans peine, il eût préféré l'établissement de familles françaises. Il ne mit aucun empressement à répondre à la demande qui lui était adressée.


            Le baron de Vialar écrivit alors personnellement une lettre au Ministre de la Guerre pour lui recommander les Mahonnais et lui faire savoir qu'il les prend sous sa protection. Cette lettre paraît un programme. Elle contient des vues remarquables et suggestives sur la colonisation, les moyens à employer pour retenir et attacher d'une façon définitive au sol africain les colons venant de France ou d'ailleurs. Nous la reproduisons dans toute son originalité :


« Mustapha-Supérieur, le 1er mars 1847.


« Monsieur le Ministre,


« Plusieurs cultivateurs illettrés me prient de leur servir d'interprète auprès de vous et de vous recommander une pétition qu'ils ont adressée, il y a près d'un mois, à M. le Directeur de l'Intérieur.  L'objet en est grave, la demande est fondée, il serait avantageux pour le pays quelle fût favorablement accueillie sans retard; je n'hésite pas, quoique étranger à l'entreprise proposée et quoique, à certains égards, je dusse y être contraire, à essayer d'attirer votre examen et votre bienveillance sur cette pétition.


« La population agricole des environs d'Alger se compose principalement de Mahonnais. Ils ont quitté en grand nombre leur île avec leurs femmes, leurs enfants et ont peuplé et cultivé presque tout le massif d'Alger. Tandis que les villages fondés par l'Administration n'offrent que des cultures encore bien rares et plutôt onéreuses que productives pour les concessionnaires qui y ont été placés, les Mahonnais, plus sobres, plus habiles dans la petite culture, ont trouvé le moyen de vivre dans l'aisance dans les propriétés des autres européens et de leur payer des fermages assez élevés. Ce sont eux réellement qui ont doté le massif de la culture et de la vie.

 Environ cinquante chefs de famille habitant depuis un grand nombre d'années l'Algérie, tous cultivateurs acclimatés, tous fermiers gênés par le prix très élevé des terres qui leur sont louées, demandent une concession à l'Administration.  Ils sollicitent d'être placés, aux mêmes conditions que les concessionnaires des autres villages, au Fort-de-l'Eau, près la Maison-Carrée, sur l'ancienne ferme de la Rassauta.


« Jusqu'à présent, on n'a fondé de village qu'à l'aide de nouveaux venus, étrangers à la culture, au moins à celle pour laquelle on réussit en Algérie. Ce sont aujourd'hui des habitants de cette contrée, des Algériens qui entrent dans vos plans d'agglomération et qui s'offrent à se réunir dans un village qu'ils créeraient sous votre protection et avec votre assistance.


« S'ils n'étaient pas sûrs de réussir, ils n'exposeraient pas à cette fondation et leur temps qui est précieux et leurs économies, ici, au soleil de l'Afrique et l'existence de leurs familles.


« Ce serait la première fois peut-être qu'un village agricole serait fondé en Algérie dans des conditions assurées de succès. Il se ferait sans doute en privant plusieurs propriétaires de leurs meilleurs ouvriers. Mais, ce n'est pas une considération qui puisse arrêter lorsqu'il s'agit de faire une chose utile et de procurer le bien-être à plus de trois cents personnes.


« Vous avez deux moyens, Monsieur le Ministre, d'établir une population française en Algérie : c'est d'y faire venir des Français ; c'est d'y rendre Français les européens qui y sont déjà ou y arriveraient. Ce dernier moyen ne réussira qu'en traitant ceux-ci avec la même bienveillance, avec la même faveur que les Français de naissance et en ne distinguant les hommes que par leur degré d'utilité et de moralité.


« Sous ce point de vue et sous celui du progrès agricole, la demande des Mahonnais est une bonne fortune. Je la soumets avec confiance et respect à votre sollicitude éclairée.


« Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et obéissant, serviteur.


« Baron de VIALAR »

Comme il le fait remarquer, le baron de Vialar n'a aucun intérêt à l'entreprise. Il poursuit simplement en philanthrope le double but de développer la culture maraîchère dans les environs d'Alger et procurer à trois cents personnes un peu d'aisance et de bien-être. Le projet, si simple en lui-même, ne devait pourtant se réaliser que cinq ans plus tard.


            L'Administration locale était toute disposée à la création d'un village agricole, mais c'était une bien grave question que celle d'établir en bloc, à un endroit déterminé, une colonie exclusivement composée d'étrangers. Le grand et ardu problème de la naturalisation en masse, avec toutes ses conséquences, se posait déjà. Des difficultés d'un autre ordre allaient éclater: lenteur des bureaux, résistance et hostilité de l'Administration militaire, créance du prince de Mir, changement non seulement du Ministère, mais encore de régime. Toujours est-il que, dès le début, on eut dans les hautes sphères le vif désir de voir le petit centre se créer.


            La réponse à la lettre du baron de Vialar ne se fit pas attendre. Le ministre de la guerre Trezel, qui s'intéresse vivement à l'Algérie, s'empresse de lui répondre, le 19 mars, que des instructions ont été données au sujet de l'établissement au Fort-de-1'Eau d'un certain nombre de familles mahonnaises. Effectivement, par le même courrier, il transmet au Gouverneur Général la lettre suivante :


Le 20 mars 1847.


« Monsieur le Gouverneur Général,


 Environ cinquante familles mahonnaises, qui habitent depuis longtemps l'Algérie, ont adressé, il y a près de deux mois, à M. le Directeur de l'Intérieur, une demande à l'effet d'obtenir du terrain sur le domaine de la Rassauta, vers le Fort-de-1'Eau, et dé constituer sur ce point un petit centre de population.


« Cette demande mérite une sérieuse considération ; les Mahonnais sont généralement d'excellents colons ; ils sont très entendus dans la petite culture et leurs habitudes de travail, d'économie et de sobriété les font presque toujours réussir. C'est une des populations les plus actives et les plus utiles de l'Algérie ; ce sont les Mahonnais qui ont cultivé presque tout le massif d'Alger et ils approvisionnent pour ainsi dire à eux seuls de légumes et de fruits les marchés de la ville.


« Il n'est pas douteux qu'en accordant aux familles dont il s'agit quelques secours de peu d'importance pour leur premier établissement, le village qu'elles veulent créer ne soit promptement en voie de prospérité. Ce village sera d'une grande utilité pour l'alimentation d'Alger; il sera, en outre, très avantageusement placé au Fort-de-l'Eau, d'où les colons pourront faire transporter par mer, en peu de temps et à très peu de frais, leurs denrées à Alger. Quelques familles de pêcheurs, qui ne manqueront pas de s'établir sur ce point, faciliteront encore ces transports.


« Les terrains qui avoisinent le Fort-de-1'Eau ne sont compris ni dans le territoire du village des Aribs, ni dans les terrains mis à la disposition de l'Administration militaire pour l'établissement d'un parc ; il n'y a donc aucun inconvénient à placer sur ce point les familles mahonnaises.


« Ces familles se sont mises sous le patronage de M. le baron de Vialar; j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien inviter M. le Directeur de l'Intérieur à se rendre au Fort-de-l'Eau, accompagné de ce propriétaire et de quelques principaux Mahonnais, afin de déterminer les terrains à affecter à cette utile création.


 Cette question résolue, les terrains nécessaires devront immédiatement être remis par le Domaine à la Direction de l'Intérieur et M. le Directeur de l'Intérieur soumettra, de son côté, sans aucun retard, en Conseil supérieur d'administration, les bases sur lesquelles il convient de constituer le petit centre dont il s'agit.


« J'attache un vif intérêt au prochain établissement des familles mahonnaises au Fort-de-l'Eau et j'ai l'honneur de vous prier, en conséquence, de vouloir bien veiller à la prompte exécution des présentes instructions. »


            A  Alger, à cette époque, comme aujourd'hui, du reste, on était autrement placé qu'à Paris pour étudier et élucider les questions algériennes; l'expérience démontre qu'il ne faut rien précipiter. Voilà pourquoi le maréchal Bugeaud, gouverneur général, répondit prudemment au Ministre :


« Alger, le 30 mars 1847.


                        « Monsieur le Ministre,

            

                         J'ai reçu votre dépêche du 20 mars, relative à la demande formée par cinquante familles mahonnaises de s'établir auprès du Fort-de-l'Eau.


« Je suis tout à fait d'avis d'accueillir la proposition des cinquante familles mahonnaises. Je comprends l'utilité de constituer sur ce point un centre de population dont la ville d'Alger pourra retirer de précieux avantages pour son alimentation. Je sais que les Mahonnais sont très entendus pour la petite culture, qu'ils sont sobres et bons travailleurs; c'est un élément qu'il ne faut point négliger et qui doit réussir, surtout dans le voisinage des villes, où leur industrie est nécessaire.


« Si ces familles voulaient immédiatement s'établir sur le point indiqué sans demander aucune subvention à l'Administration, je les y placerais sur-le-champ ; mais si elles demandent à être établies aux mêmes titres et conditions que les familles que nous avons installées dans les villages du Sahel et la plaine, vous savez, Monsieur le Ministre, ce que ces familles nous ont coûté.


« Vous dites dans votre lettre qu'on pourrait installer ces familles avec quelques ressources de peu d'importance; pour peu qu'on donne à chacune d'elles 4 ou 500 francs, par exemple, en matériaux, cela formera tout de suite une somme considérable; or, vous savez que nous n'avons presque rien à donner comme secours à la colonisation et que vous avez déclaré vous-même, dans votre exposé des motifs des crédits extraordinaires, que, désormais, il ne serait plus donné de subventions aux familles des colons.


« Je suis convaincu, Monsieur le Ministre, et je crois de mon devoir de vous le signaler en passant, que vous serez obligé de revenir sur votre décision car, sans cela, vous ne feriez de la colonisation qu'à pas de tortue.  Mais, en attendant, comment faut-il faire pour aider les cinquante familles mahonnaises ?


« Au surplus, je vais charger M. le Directeur de l'Intérieur de réunir ces familles, s'il peut les découvrir, en l'absence de M. le baron de Vialar, actuellement à Paris; et si elles veulent s'établir à leurs frais, en attendant les secours que, plus tard, vous pourrez peut-être leur donner, je les installerai immédiatement sur les lieux.


« Recevez, etc. »

Le Ministre, en lisant cette dépêche, écrivit en marge, d'une main fébrile, cette phrase lapidaire : « Les familles seront établies sans subvention, ou on leur refusera la concession. » 9 avril 1847.


            Ainsi, pour une simple question d'argent, on renoncera au beau rêve de voir s'élever le village agricole que le Ministre, lui-même, "jugeait d'une grande utilité". Pour mieux préciser sa pensée, le même ministre répondit au duc d'Isly :


            « A cette occasion vous me témoignez le désir que je revienne sur la détermination prise de ne plus accorder en général de subventions aux colons et vous demandez quelle sera la quantité de secours que je serai disposé à accorder aux Mahonnais dont il s'agit.


            « Il est dans mes intentions d'autoriser la dépense de quelques travaux de terrassements et nivellements sur l'emplacement qui aura été choisi pour l'assiette du hameau et je vous prie de m'adresser à ce sujet une proposition régulière.  Mais c'est là seulement ce que j'ai entendu par les légers secours à accorder aux Mahonnais, car l'insuffisance des ressources budgétaires ne permet pas de leur en attribuer d'autres.


« Et je me verrais à regret dans la nécessité de laisser un projet sans suite s'ils en subordonnaient la réalisation à l'allocation de subventions en argent ou en matériaux que le vœu des Chambres m'oblige à restreindre le plus possible. »


            Cette intransigeance ministérielle, quelque peu brusque, s'explique. On avait jusqu'alors dépensé pour la colonisation à pleines mains. Les résultats, hélas, n'avaient pas été en corrélation avec les sacrifices imposés. Les colons arrivés d'Europe obtenaient un lot à bâtir dans un village et une concession rurale, le tout nu. On leur accordait, en outre, une subvention en matériaux; d'autres faveurs leur étaient faites qui portaient la dépense de l'Etat pour chaque famille à  200 francs.


            Comme au Fort-de-l'Eau devaient s'établir cinquante familles, il aurait fallu une somme de 60 à 70000 francs. C'était un peu lourd. Les Mahonnais futés, habilement conseillés par des gens intéressés, au courant des largesses que l'Etat ne cessait de prodiguer pour favoriser la prospérité de la colonisation, émirent des prétentions inadmissibles: outre une subvention en argent ou en matériaux, chaque colon exigeait qu'il lui fut accordé une concession de 25 hectares au moins.


            C'est le moment de nous arrêter un instant pour faire connaissance avec les mœurs, les habitudes de ces Mahonnais qui vont compter dans la suite parmi les auxiliaires les plus précieux de l'œuvre colonisatrice entreprise par la France en Algérie. Disons tout de suite qu'aucun colon d'une autre race ne vaut ces hommes sobres endurcis, qui ont fait de Fort-de-l'Eau  un des plus charmants endroits de la côte algérienne. Généreux et hospitaliers, comme le sont la plupart des habitants des îles méditerranéennes, les Mahonnais réservent toujours une place à leur table à un compatriote nouvellement débarqué. On voit couramment des familles très pauvres héberger pendant de longues semaines un ou plusieurs arrivants.


            Par contre, les nouveaux venus ne restent pas oisifs, ils aident leur hôte en se rendant utiles à la maison ou aux champs jusqu'à ce qu'ils aient trouvé eux-mêmes à s'employer d'une façon définitive. C'est la solidarité, on ne peut mieux comprise. Mais ce qui frappe le plus dans le caractère mahonnais, c'est la continuité de l'effort vers un but invariable. Ils ne sont pas aussi civilisés que les Français, cela est certain, mais ils sont plus laborieux, plus méthodiques, n'ayant presque pas de besoins, ce qui est le commencement d'une sagesse solide.


            Chez eux pas de mobilier encombrant. Le strict nécessaire. Le père seul, quand il est dans l'aisance, se donne le luxe d'un lit. Les garçons couchent habillés et sur la dure. Comme sièges, de simples tabourets. Au moment des repas, on se range autour d'une petite table basse qui peut à peine contenir les assiettes en émail et le pain des convives. Les mets qui reviennent le plus souvent sont le riz coloré avec du safran,  la «soubressade», quelques légumes, des tomates, des piments et enfin des harengs salés cuits sur la braise  la viande et le vin n'entrent dans le festin qu'un jour de grande fête. La cigarette est la seule dépense inutile que s'offrent les Mahonnais.


            Avec de pareilles habitudes, avec une sobriété aussi remarquable, ils viennent à bout de toutes les privations. Quand ils émigrent sur le sol algérien, même avec une nourriture peu substantielle, ils ne redoutent pas l'anémie; ils peuvent s'installer partout, un simple petit abri leur suffit, surtout s'il y a autour une source ou un puits.


            Que ne faut-il pas au contraire pour attirer les Français ! Sans parler d'avances considérables, n'a-t-on pas vu les colons de Fleurus, dans le département d'Oran, demander qu'avant de construire leurs maisons, on leur édifiât un petit théâtre ?


            Nos Mahonnais étaient moins exigeants. Malgré certaines prétentions émises de leur part, et le refus du ministre d'accorder de l'argent, on pouvait facilement trouver un terrain d'entente, cela était d'autant plus facile que les Mahonnais tenaient beaucoup à se fixer en face du Fort-de-1'Eau, de préférence à n'importe quel autre endroit. Ils avaient à ce sujet des raisons fort sérieuses. Les terrains qui avoisinent le Fort-de-l'Eau ne sont, en effet, compris ni dans le territoire du village des Aribs, ni dans les terrains mis à la disposition de l'administration militaire pour l'établissement d'un parc, Il  n'y a donc aucun inconvénient à placer sur ce point leurs familles.

            La proximité de la mer n'est pas pour leur déplaire. La grande bleue leur rappelle un ciel très pur, des paysages ensoleillés, des fruits abondants, une île chère entre toutes, dont les rives séduisantes et hospitalières sont faites de découpures dentelées et de dessins élégants.


            Avec la mer, le transport et l'arrivage des denrées se feront dans de meilleures conditions, et la bonne brise rafraîchissante sera d'un effet salutaire.

  

Le Gouverneur Général écrit au Ministre,  le 20 juin 1847 :


" Dans les conditions favorables d'irrigation que semble présenter le terrain, 110 à 150 hectares de bonnes terres arrosables suffiraient et au-delà à l'établissement de 50 familles, nombre que, du reste, on pourrait réduire, en raison de l'étendue disponible.


" Ces réflexions méritent d'autant plus l'attention, que le développement de la culture maraîchère aux environs d'Alger y soutient les terres irrigables pour norias à des prix presque fabuleux, tels que 1000 et 1500 francs de revenu l'hectare, ce qui suppose un capital de 10.000 à 15.000 francs. Ce serait un immense avantage, pour les familles dont il s'agit, que la concession à peu près gratuite d'un territoire d'une centaine d'hectares irrigables. »            


            Comme nous le faisions remarquer au début, en haut lieu, on avait tout de suite compris l'intérêt qu'offrait l'établissement de la petite colonie mahonnaise au Fort-de-l'Eau et l'urgence qu'il y avait à favoriser le développement de la culture maraîchère.


            En réponse aux propositions du Gouverneur Général, le Ministre émet, le 14 juillet 1847, l'opinion suivante :


"Les renseignements que vous me donnez sur la valeur des terres cultivées en jardinage aux environs d'Alger dénotent l'urgence de favoriser le développement de cette culture. Vous me faites connaître, en effet, que les terrains de cette nature ont atteint le prix presque fabuleux de 1000 à 1500 francs de rente à l'hectare ou 10 à 15000 francs de capital.


Je ne saurais donc trop insister sur l'utilité de fonder sur des terres qui environnent Fort-de-l'Eau un village à la fois de pêcheurs et jardiniers, auquel on affecterait un territoire de 200 hectares environ.


" Je désire, en conséquence, qu'il soit procédé à un examen rigoureux des besoins réels de l'Intendance militaire et je ne doute pas qu'elle ne constate la possibilité de restreindre considérablement l'importance de ses réserves. Je vous prie de vouloir bien me tenir au courant de ce qui se fera à cet égard".


            Le Ministre a heureusement plus à cœur le développement de la colonisation que l'immense parc, rêvé indispensable par l'Intendance militaire.


            Le duc d'Aumale remplace le maréchal Bugeaud et adopte un nouveau mode d'alimentation pour les bestiaux réservés à la Guerre. Il décide simplement que ce bétail sera placé chez des propriétaires : du coup, 800 hectares de l'immense domaine deviennent disponibles et sont immédiatement remis au Service de la Colonisation pour être affectés à l'emplacement de Fort-de-l'Eau.


            Toutes les difficultés paraissent aplanies. Par arrêté du Gouverneur Général, en date du 17 octobre 1848, une Commission est nommée à l'effet d'examiner, aux divers points de vue fixés par l'arrêté du 2 avril 1846, l'endroit le plus favorable où va s'élever le petit centre mahonnais.


            Cette Commission, présidée par M. Denecey, ingénieur des Ponts et Chaussées, comprend comme membres : MM. Hezette, capitaine de génie ; Valentin, capitaine de zouaves attaché à la Direction des Affaires arabes; Roulière, receveur des Domaines ; Boy, inspecteur de Colonisation ; le docteur Foley; Lefèvre, inspecteur des Bâtiments civils, chargé de faire le rapport au nom de la Commission, qui pose en principe :


 1 - Qu'on ne pourrait sans danger placer des européens sur la Rassauta, tant qu'une partie de ce domaine resterait aux mains de l'Administration militaire;


 2 - En ce qui concerne le village lui-même, qu'il n'y fallait pas songer, puisqu'il se trouverait directement établi sous le vent des marais du Fort-de-1'Eau et Sidi-Aïssa, dont le dessèchement et la mise en culture ne seraient possibles qu'après évacuation du troupeau.


            En résumé, la Commission ne voulait occuper qu'une partie de la Rassauta et laisser le surplus à l'Administration militaire. C'était tenter une œuvre dangereuse pour les colons, compromettante pour la colonisation. Tel n'était pas l'avis du préfet Lacroix qui pensait que cet emplacement offrait, au contraire, pour une agglomération de familles, plus de sécurité qu'un tout autre point des environs. Le Ministre passe outre et suspend toute concession à la Rassauta.


            Cette prohibition arrête le placement des Mahonnais qui avaient déjà fait leurs préparatifs d'installation. Las d'attendre, ils s'abandonnent au découragement. Indépendamment de ces petits colons, des capitalistes se sont décidés à venir de France, attirés par cette pensée que l'évacuation publiquement annoncée de la Rassauta, par l'Administration militaire, allait ouvrir un champ à leur activité et leur procurer de splendides bénéfices. Beaucoup ont déjà acheté le matériel d'exploitation nécessaire. L'interdit qui frappe la colonisation est pour eux une cruelle déception. Ils regrettent avec amertume le long voyage, les démarches infructueuses. Dégoûtés, aigris, ils s'en vont ailleurs utiliser leurs capitaux et leurs bras. Ils ne laisseront, ceux-là, échapper aucune occasion pour déprécier ou discréditer l'Algérie. Par leurs arguments et surtout par leur exemple, ils détourneront tous ceux qui seraient tentés de venir s'y fixer.


            La remise totale des terrains occupés par l'Administration militaire s'effectue, enfin (31 mars 1849). Ordre est donné (dépêche du 30 avril 1849) de disposer immédiatement des terrains assignés au territoire du village de Fort-de-l'Eau et à procéder à l'installation des familles destinées à le peupler. Le Préfet d’Alger délégua à une Commission le choix des familles à installer. Ce travail fut facile : les concurrents étaient nombreux et présentaient des ressources réelles qui s'élevaient ensemble de 140 à 150.000 francs. Soit, en moyenne, 3.000 francs par famille. On attribue à chaque concessionnaire:

  

Le Gouverneur Général écrit au Ministre,  le 20 juin 1847 :


" Dans les conditions favorables d'irrigation que semble présenter le terrain, 110 à 150 hectares de bonnes terres arrosables suffiraient et au-delà à l'établissement de 50 familles, nombre que, du reste, on pourrait réduire, en raison de l'étendue disponible.


" Ces réflexions méritent d'autant plus l'attention, que le développement de la culture maraîchère aux environs d'Alger y soutient les terres irrigables pour norias à des prix presque fabuleux, tels que 1000 et 1500 francs de revenu l'hectare, ce qui suppose un capital de 10.000 à 15.000 francs. Ce serait un immense avantage, pour les familles dont il s'agit, que la concession à peu près gratuite d'un territoire d'une centaine d'hectares irrigables. »            


            Comme nous le faisions remarquer au début, en haut lieu, on avait tout de suite compris l'intérêt qu'offrait l'établissement de la petite colonie mahonnaise au Fort-de-l'Eau et l'urgence qu'il y avait à favoriser le développement de la culture maraîchère.


            En réponse aux propositions du Gouverneur Général, le Ministre émet, le 14 juillet 1847, l'opinion suivante :


"Les renseignements que vous me donnez sur la valeur des terres cultivées en jardinage aux environs d'Alger dénotent l'urgence de favoriser le développement de cette culture. Vous me faites connaître, en effet, que les terrains de cette nature ont atteint le prix presque fabuleux de 1000 à 1500 francs de rente à l'hectare ou 10 à 15000 francs de capital.


Je ne saurais donc trop insister sur l'utilité de fonder sur des terres qui environnent Fort-de-l'Eau un village à la fois de pêcheurs et jardiniers, auquel on affecterait un territoire de 200 hectares environ.


" Je désire, en conséquence, qu'il soit procédé à un examen rigoureux des besoins réels de l'Intendance militaire et je ne doute pas qu'elle ne constate la possibilité de restreindre considérablement l'importance de ses réserves. Je vous prie de vouloir bien me tenir au courant de ce qui se fera à cet égard".


            Le Ministre a heureusement plus à cœur le développement de la colonisation que l'immense parc, rêvé indispensable par l'Intendance militaire.


            Le duc d'Aumale remplace le maréchal Bugeaud et adopte un nouveau mode d'alimentation pour les bestiaux réservés à la Guerre. Il décide simplement que ce bétail sera placé chez des propriétaires : du coup, 800 hectares de l'immense domaine deviennent disponibles et sont immédiatement remis au Service de la Colonisation pour être affectés à l'emplacement de Fort-de-l'Eau.


            Toutes les difficultés paraissent aplanies. Par arrêté du Gouverneur Général, en date du 17 octobre 1848, une Commission est nommée à l'effet d'examiner, aux divers points de vue fixés par l'arrêté du 2 avril 1846, l'endroit le plus favorable où va s'élever le petit centre mahonnais.


            Cette Commission, présidée par M. Denecey, ingénieur des Ponts et Chaussées, comprend comme membres : MM. Hezette, capitaine de génie ; Valentin, capitaine de zouaves attaché à la Direction des Affaires arabes; Roulière, receveur des Domaines ; Boy, inspecteur de Colonisation ; le docteur Foley; Lefèvre, inspecteur des Bâtiments civils, chargé de faire le rapport au nom de la Commission, qui pose en principe :


 1 - Qu'on ne pourrait sans danger placer des européens sur la Rassauta, tant qu'une partie de ce domaine resterait aux mains de l'Administration militaire;


 2 - En ce qui concerne le village lui-même, qu'il n'y fallait pas songer, puisqu'il se trouverait directement établi sous le vent des marais du Fort-de-1'Eau et Sidi-Aïssa, dont le dessèchement et la mise en culture ne seraient possibles qu'après évacuation du troupeau.


            En résumé, la Commission ne voulait occuper qu'une partie de la Rassauta et laisser le surplus à l'Administration militaire. C'était tenter une œuvre dangereuse pour les colons, compromettante pour la colonisation. Tel n'était pas l'avis du préfet Lacroix qui pensait que cet emplacement offrait, au contraire, pour une agglomération de familles, plus de sécurité qu'un tout autre point des environs. Le Ministre passe outre et suspend toute concession à la Rassauta.


            Cette prohibition arrête le placement des Mahonnais qui avaient déjà fait leurs préparatifs d'installation. Las d'attendre, ils s'abandonnent au découragement. Indépendamment de ces petits colons, des capitalistes se sont décidés à venir de France, attirés par cette pensée que l'évacuation publiquement annoncée de la Rassauta, par l'Administration militaire, allait ouvrir un champ à leur activité et leur procurer de splendides bénéfices. Beaucoup ont déjà acheté le matériel d'exploitation nécessaire. L'interdit qui frappe la colonisation est pour eux une cruelle déception. Ils regrettent avec amertume le long voyage, les démarches infructueuses. Dégoûtés, aigris, ils s'en vont ailleurs utiliser leurs capitaux et leurs bras. Ils ne laisseront, ceux-là, échapper aucune occasion pour déprécier ou discréditer l'Algérie. Par leurs arguments et surtout par leur exemple, ils détourneront tous ceux qui seraient tentés de venir s'y fixer.


            La remise totale des terrains occupés par l'Administration militaire s'effectue, enfin (31 mars 1849). Ordre est donné (dépêche du 30 avril 1849) de disposer immédiatement des terrains assignés au territoire du village de Fort-de-l'Eau et à procéder à l'installation des familles destinées à le peupler. Le Préfet d’Alger délégua à une Commission le choix des familles à installer. Ce travail fut facile : les concurrents étaient nombreux et présentaient des ressources réelles qui s'élevaient ensemble de 140 à 150.000 francs. Soit, en moyenne, 3.000 francs par famille. On attribue à chaque concessionnaire:

  1. Un lot à bâtir d'une superficie de 6 ares ;

  2. Un lot de jardin de 20 ares;

  3. Deux lots ruraux, le premier de 2 hectares.


            Soit une superficie totale de 419 hectares. Les rues, les places, le cimetière et le communal réservé dans la partie calcaire complétaient les 500 hectares. (voir la liste des bénéficiaires des lopins)


            Les dépenses à faire pour les constructions de Fort-de-l'Eau, qui ne réclamait aucun ouvrage défensif furent évaluées à la somme insignifiante de 7.500 francs, ainsi qu'il appert du détail qui suit :


Nivellement des rues et places.  Le nivellement des rues et places produit 1.720 m de longueur x 90 m de largeur; surface des nivellements, déblais, remblais, débroussaillement, comblement des rues et cassis……. 3480 fr


Puits et bassins.  La réparation du puits et bassin situé près du village dans la zone des servitudes du fort, y compris = nettoyage et pose de potences, poulie, chaîne

et seaux .......................................................................................    800 fr


La construction, sur la place du village, d'un puits maçonné de l m de diamètre intérieur sur 13 m de profondeur, maçonné en moellons de Kouba et mortier couvert d'une calotte avec poulie, chaîne, sceaux et porte en chêne, évalué.............. 1500 fr.


Plantations.  La fouille de 850 arbres à 1 franc l'un……………    850 fr.

Le transport des arbres depuis la pépinière centrale

jusqu'au village évalué..................................................................... 50 fr.

La plantation des arbres compris, arrosage à 0 fr. 50 l'un ……… 425 fr.

                                                                                         

                                                                                          Total........ 7105 fr.

                                                   Imprévu........................................    395 fr.

                                                                              Total général....... 7500fr.


            Créer un village pour 7500 francs, ce n'était vraiment pas cher !


            Dès qu'elles furent en possession de leurs lots, les familles désignées rivalisèrent d'empressement à apporter des matériaux de construction et à creuser des puits, ce qui rendit inutile celui que l'architecte proposait d'établir au compte de l'administration pour la somme de 1500 francs. La dépense totale fut réduite à 6000 francs.


             Il eut été impossible d'établir un centre dans des conditions plus économiques. L'administration ne s'en tirait pas toujours à si bon compte. A Beni-Mered, par exemple, l'allocation nécessaire à chaque colon dépassa 6500 francs. Les dépenses d'utilité publique furent la seule subvention accordée par l'Etat aux colons de Fort-de-l'Eau. La création de ce village doit être considérée, à juste titre, comme l'une des meilleures, des plus utiles et des moins coûteuses opérations de la colonisation.


            Ce ne fut que pour abréger des retards préjudiciables à tous les intérêts en jeu que le ministre avait autorisé (17 juin 1849) le Gouvernement général à faire commencer par anticipation les travaux d'établissement du centre et sur des crédits afférents à l'exercice 1849.


            L'activité déployée par les nouveaux colons fut de nature à justifier, à elle seule, la création du village qui fut tout de suite en pleine voie de peuplement et de prospérité. Il fallut se décider une bonne fois pour toutes. Dans sa séance du 20 août 1849, le Conseil du Gouvernement général de l'Algérie (M. Ballyet, rapporteur) émit l'avis qu'il y avait lieu de sanctionner à la législation en vigueur l'établissement d'un village à Fort-de-l'Eau. La délibération du Conseil du Gouvernement général ne fut transmise au ministre de la guerre que le 20 décembre. Quatre mois pour faire une simple lettre d'envoi ! Décidément, l'administration locale semblait par trop se désintéresser de la colonisation. Le ministère, plus diligent, réclama aussitôt l'attache du Président de la République qui promulga le décret qui suit :


A-D SANSONETTI

Au nom du peuple français


Le Président de la République,


Vu les ordonnances du 21 juillet 1845, 5 juin et 1° septembre 1847 sur les rapports du Ministre de la guerre, décrète :


Art. 1er.  II est créé sur le domaine de la Rassauta au lieu dit Fort-de-l'Eau, un centre de population de 50 feux qui prendra le nom de Fort-de-l'Eau.

                                                                                                       

Art. 2.  Le territoire agricole à effectuer à ce nouveau centre, sera conformément au plan ci-annexé de 500 hectares.


Art. 3.  Le Ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à l' Elysée National, le onze janvier 1850.

 Signé: L. N. BONAPARTE.

 Le Ministre de la Guerre»

 Signé : d'HAUTPOUL.


  

Napoléon III

Intéressante et curieuse est la genèse de

la fondation du village de Fort-de-l'Eau

Voir aussi le site de

P.J. CARDONA

(cliquer sur la photo et sur le document)

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